Frédéric Veyrier et Eve Bernet : du Canada à la Nouvelle-Calédonie

Le professeur Frédéric Veyrier de l’INRS-Centre Armand Frappier Santé Biotechnologie, à Montréal, effectue un congé sabbatique en recherche à l’IPNC. Il est arrivé en janvier dernier pour une durée de six mois. Il apporte ainsi son expertise en génomique bactérienne au sein du Pôle Bactériologie. Eve Bernet, une de ses doctorantes, a également fait le voyage jusqu’à l’IPNC pour un stage de trois mois. Ces visites sont une belle opportunité de renforcer les liens entre les deux instituts de recherche et, plus globalement, entre la Nouvelle-Calédonie et le Canada.

De janvier à juillet, Frédéric Veyrier est en séjour scientifique au sein du Pôle Bactériologie et appuie les travaux déjà entamés à l’IPNC sur la résistance aux antibiotiques. L’un des principaux projets consiste à comprendre les échanges de gènes résistants entre les bactéries présentes dans différents écosystèmes en se concentrant sur différents compartiments (environnement, animaux et humains).  Au Canada, Frédéric Veyrier est professeur agrégé au Centre INRS Armand-Frappier Santé-Biotechnologie (INRS-CAFSB), le seul institut membre du Pasteur Network en Amérique du Nord. Il est aussi professeur associé à l’Université McGill et responsable de la plateforme de l’infrastructure de microscopie électronique (appelée Caractérisation des nanovéhicules biologiques et synthétiques) à l’INRS.

De la recherche fondamentale à la santé publique

Son programme de recherche actuel vise ainsi à comprendre l’évolution des bactéries qui infectent l’humain, en recherche fondamentale, pour trouver de nouvelles voies de diagnostic et de traitement, en recherche appliquée. Sa venue à l’IPNC lui permet d’évaluer comment les outils qu’il a développés ces dix dernières années peuvent être utilisés en santé publique. Expert en génomique, un de ses projets consiste par exemple à mettre en place un système de sérotypage basé sur la génomique des leptospires, ces bactéries responsables de la leptospirose. Depuis son arrivée, il est particulièrement impressionné par le travail effectué par les groupes de recherche à l’IPNC malgré « certaines difficultés rencontrées que je n’ai pas au Canada telles que les délais de livraison », cite-t-il.

Consolider les liens

Il était déjà en contact avec l’Unité de recherche et d’expertise Leptospirose et le Groupe de bactériologie médicale et environnementale de l’IPNC, avec qui il avait collaboré à distance. Sa venue à l’IPNC ne tient donc pas du hasard. « Mon séjour permettra de consolider les liens entre nos deux laboratoires. Se déplacer permet de mieux connaître les gens personnellement et donc d’améliorer les collaborations professionnelles par la suite. » Une autre de ses missions est de mettre en place des moyens d’échanges facilités, d’étudiants et d’expertises, entre les deux instituts de recherche. Son séjour est l’occasion d’établir des collaborations fortes, fructueuses et durables non seulement avec l’IPNC mais avec d’autres partenaires régionaux.

Eve Bernet, en stage jusqu’à fin juin

La mise en place de ces projets de recherche collaboratifs a aussi permis à une étudiante brillante, Eve Bernet, de participer à cet échange. « Calédonienne d’adoption », elle est arrivée sur le territoire en 1995, âgée de seulement quelques mois. Partie il y a dix ans pour ses études, elle fait actuellement une thèse au sein de l’équipe du professeur Frederic Veyrier, au Canada. Son projet de thèse porte sur la caractérisation de l’évolution du genre Neisseria ayant mené à l’apparition de deux espèces pathogènes (N. meningitidis responsable de méningite bactérienne et N. gonorrhoeae responsable de la gonorrhée). Pendant son séjour de trois mois à l’IPNC, elle participera à la mise en place d’un projet complémentaire à son sujet de thèse et portant sur la microévolution de Neisseria gonorrhoeae dans un contexte insulaire en Nouvelle-Calédonie. Arrivée fin mars dans l’unité de bactériologie médicale et environnementale de l’IPNC, elle est « très émue de pouvoir enfin revenir [sur le territoire] et participer à l’effort de recherche ici ».

L’unité de recherche et d’expertise sur la leptospirose en mission de formation au Vanuatu

Dans le cadre du projet Fonds Pacifique OH-Lepto l’unité de recherche et d’expertise sur la leptospirose organise actuellement une mission de formation théorique et pratique de quatre techniciens du Vila Central Hospital sur les techniques de mise en œuvre du diagnostic moléculaire de la leptospirose.

Ce projet, également soutenu par la CPS et l’OMS, vise à renforcer les capacités des laboratoires et à promouvoir une approche « One Health » de la leptospirose ; ce qui consiste notamment à organiser des échanges de compétences entre scientifiques des secteurs de la santé humaine et de la santé animale.
A l’issue de cette formation, le personnel du laboratoire du Vila Central Hospital aura la capacité d’effectuer des extractions d’ADN génomique à partir d’échantillons de patients et de réaliser des PCR en temps réel afin de renforcer leur système de surveillance de la leptospirose humaine.

 

Antibiorésistance : Une première publication pour le projet Arcane !

Les carbapénèmes sont des antibiotiques d’usage strictement hospitalier, utilisés en dernier recours lors d’infections. Or, ils peuvent s’avérer inefficaces au contact d’enzymes appelées carbapénémases qui sont souvent associées à d’autres mécanismes de résistance, responsable de réelles impasses thérapeutiques. La diffusion de ces enzymes a déjà touché le monde entier et les Entérobactéries Productrices de Carbapénémases (EPC) figurent au premier rang de la liste de l’OMS des « agents pathogènes prioritaires » résistants aux antibiotiques.

Malheureusement, la Nouvelle-Calédonie n’est pas épargnée. Ces EPC diffusent progressivement sur le territoire et sont souvent la cause d’infections conduisant à des situations d’impasses thérapeutiques dramatiques. En Nouvelle-Calédonie, la majorité des carbapénémases trouvées sont de type IMP, qui sont très difficiles à détecter sur les milieux sélectifs de routine.

Dans l’étude portée par le Groupe de Bactériologie Médicale et Environnementale, une méthode basée sur la résistance à l’ertapénème, un des antibiotiques de la famille des carbapénèmes, a été proposée pour distinguer les EPC dans des échantillons à très forte charge bactérienne. Cette méthode a permis d’isoler 18 EPC à partir d’effluents hospitaliers, dont un type de carbapénémase (KPC) encore jamais détecté sur le territoire. Au-delà de l’aspect scientifique, les auteurs font la démonstration que cette technique peut être appliquée dans des contextes à ressources limitées.

Ces résultats ont fait l’objet d’un article publié en collaboration avec le laboratoire de Biologie Médicale du Centre hospitalier territorial, en février 2023, dans la revue Antibiotics : Méthode de détection simultanée des différents mécanismes de résistance aux beta-lactamines chez les Entérobactéries : Application à des échantillons environnementaux et cliniques en Nouvelle-Calédonie

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet ARCANE, soutenu par le contrat intercollectivités État – Provinces dans le cadre du programme « Au fil de l’Eau » porté par le Cresica, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (Contrat Post-doctoral) et l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie.

Profil de résistance d’une Entérobactérie Productrice de Carbapénémases isolée dans le cadre de l’étude, avec un type de carbapénémase qui n’avait encore jamais été détecté en Nouvelle-Calédonie.

 

Projet CHARM : Caractérisation des bioactivités de substances naturelles de micro-organismes marins de Nouvelle-Calédonie / financement ANR (2022-2025)

https://anr.fr/Projet-ANR-21-CE43-0015

Enjeux et objectifs
Plus d’un million de décès est attribuée chaque année à la résistance antimicrobienne. En effet, l’utilisation massive des antibiotiques a conduit à l’émergence de « superbugs » tel que le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) difficile à traiter avec les molécules existantes. Cela encourage la découverte de nouveaux traitements antibiotiques efficaces contre les infections humaines graves et le sepsis associé lié à un important taux de mortalité. Les maladies inflammatoires à médiation immunitaire (IMIDs) représentent aussi un problème de santé mondial majeur avec une incidence de 5 à 7% dans les sociétés occidentales. Les cytokines sont des médiateurs inflammatoires essentiels au déclenchement de la réponse immunitaire de l’hôte durant l’infection et qui contrôlent aussi la réponse inflammatoire dans la pathogénèse des IMIDs. Le développement des molécules se focalise sur la régulation des cytokines inflammatoires ou sur l’inhibition des voies de signalisation des Janus kinases (JAKs)/signal transducer and activator of transcription proteins (STATs) ou Jakinibs approuvés pour
traiter les IMIDs. Cependant, au regard des patients réfractaires au traitement ou les maladies opportunistes liées aux mécanismes immunosuppresseurs, la recherche de nouvelles de molécules bioactives se poursuit et se focalise sur de nouvelles molécules inhibant les voies de signalisation des cytokines ou des JAK-STAT. Les microalgues et bactéries marines produisent des molécules anti-inflammatoires à grande valeur ajoutée dans le domaine de la pharmacologie. Les bioprospections menées en Nouvelle-Calédonie a conduit à la caractérisation de microalgues et de bactéries marines produisant des molécules bioactives à des fins d’application dans les biotechnologies bleues. Nous avons émis l’hypothèse que de nouvelles substances naturelles marines (MNPs) seraient à découvrir à partir de la biodiversité marine de Nouvelle-Calédonie et nous caractériserons l’activité antibactérienne et immunomodulatrice de MNPs issues de microalgues et bactéries marines néo-calédoniennes et disponibles dans les collections de l’IFREMER / ADECAL Technopole et de la start-up privée BIOTECAL.

Perspectives
Le projet ANR CHARM investiguera des bioactivités complémentaires afin d’identifier des molécules innovantes à proposer comme molécules plateformes auprès des industries pharmaceutiques dans le secteur des antibiotiques et immunomodulateurs. Les résultats seront utiles pour améliorer la chaine de valeur ajoutée dans le domaine des MNPs et des technologies bleues en Nouvelle-Calédonie. Ce projet répond donc au besoin de développement et d’exploitation durable des ressources biologiques marines et contribue à la Stratégie Nationale de Bioéconomie. Il contribue à la valorisation de la biodiversité des territoires ultra-marins en répondant au Livre Bleu Outre-Mer validé par le Ministère des Outre-Mer. Nous visons des applications à longs termes en industrie pharmaceutique par des partenariats avec le secteur privé.

COMMUNICATIONS DES RÉSULTATS
Anti-inflammatory activity of exopolysaccharides (EPS) from New Caledonian marine bacteria, 2023, poster, Natural Products as a Source of Inspiration in Chemistry and Biology, Jul 2023, Andover, United States . ⟨pasteur-04665151⟩

Antibiotic properties of Marine Natural Products (MNPs) derived from marine bacteria from New Caledonia against methicillin-susceptible Staphylococcus aureus (MSSA) and methicillin-resistant S. aureus (MRSA), 2024, Journées AntibioDEAL 2024, Apr 2024, Paris, France, ⟨pasteur-04665153⟩

COMMUNICATIONS « GRAND PUBLIC »

Présentation de Malia LASALO, Prix de la Valorisation, Doctoriales 2022
Investigation du potentiel immunomodulateur de substances naturelles issues de micro-organismes marins de Nouvelle-Calédonie


Présentation de Céphas XUMA, Prix du Jury, Ma Thèse en 180 secondes (MT180) 2024
PRopriétés Antibiotiques de substances NAturelles issues de micro-organismes marins de Nouvelle-Calédonie contre des souches antibiorésistantes (acronyme : PRANA)


La biodiversité en réponse aux enjeux de santé humaine en Nouvelle -Calédonie

La Nouvelle-Calédonie est reconnue comme un des 36 hotspots mondiaux de biodiversité terrestre et marine. Avec près de 80 % d’endémisme végétale et plus de 3 200 espèces natives, le territoire néo-calédonien représente ainsi une source considérable de substances naturelles bioactives. Parmi cette flore endémique, l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, en collaboration avec l’université de la Nouvelle-Calédonie (UNC) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), a montré que l’extrait de feuille d’une plante Annonaceae locale, Xylopia pancheri, possède une activité antibactérienne importante contre le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM). La résistance aux antibiotiques reste en effet une problématique mondiale de santé publique, étant à l’origine de plus de 1,2 millions de décès en 2019. Parmi les bactéries impliquées, l’émergence de souches de SARM a conduit au retrait de molécules du domaine pharmaceutique si bien que la recherche de nouveaux antibiotiques efficaces se poursuit.

Photographie prise par Daniel et Irène Létocart de Xylopia pancheri, issue du site de l’association Endemia : https://endemia.nc/flore/fiche1682

Pour consulter l’article complet : « Antimicrobial activity of Xylopia pancheri Baill. Leaf extract against susceptible and resistant Staphylococcus aureus. » https://doi.org/10.1002/ptr.7714.

Les extraits de plante d’une Lamiaceae, Coleus forsteri, en photographie ci-dessus, possède des activités anti-inflammatoires.

Les populations néo-calédoniennes ont aussi recours à l’usage de nombreuses plantes traditionnelles notamment dans le cadre familial comme médecines complémentaires et alternatives. Parmi ces plantes traditionnelles, l’IPNC, en collaboration avec l’UNC, l’IRD et l’université MacQuarie à Sydney, a démontré que les extraits de plante d’une Lamiaceae, Coleus forsteri (anciennement Plectranthus forsteri), possèdent des activités anti-inflammatoires sur des macrophages humains en inhibant différents médiateurs inflammatoires : les cytokines et l’acide quinolinique. La caractérisation chimique des extraits de cette plante a montré la présence de molécules diterpènes pouvant expliquer ces effets biologiques. Cette plante, aussi appelée Hmitre ou Arnica kanak, est traditionnellement utilisée pour traiter les symptômes grippaux. La confirmation biologique de son activité anti-inflammatoire au niveau cellulaire pourrait aider à mieux comprendre le mode d’action de cette plante traditionnelle.

Pour consulter l’article complet : « Anti-inflammatory activities of Coleus forsteri (formerly Plectranthus forsteri) extracts on human macrophages and chemical characterization » https://doi.org/10.3389/fphar.2022.1081310

Photographie de cellules activées, confirmant l’activité anti-inflammatoire au niveau cellulaire.

 

Le MALDI-TOF MS, un outil prometteur pour la surveillance internationale des moustiques vecteurs d’arbovirus

Face à la mondialisation, les aires de répartition des moustiques connus pour transmettre le virus de la dengue augmentent, ce qui souligne la nécessité de détecter rapidement les espèces vectrices introduites et de prévenir leur établissement dans de nouvelles zones.

Pour les identifier, des scientifiques du réseau des instituts Pasteur ont évalué l’utilisation d’une nouvelle méthode : la spectrométrie de masse de type « Matrix-Assisted Laser Desorption Ionization Time-Of-Flight Mass Spectrometry », dite MALDI-TOF MS. 

Des moustiques prélevés sur le terrain, appartenant à 8 espèces et provenant de 6 pays du Pacifique, d’Asie et de Madagascar, ont été inclus dans cette étude réalisée par l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, en collaboration avec l’Institut Pasteur du Cambodge, l’Institut Pasteur du Laos et l’Institut Pasteur de Madagascar.

Cette étude a montré que le MALDI-TOF MS, qui génère des spectres protéiques spécifiques à chaque espèce, est un outil prometteur. Il pourrait ainsi être utilisé pour une surveillance internationale des moustiques vecteurs d’arbovirus. Cette technique est apparue aussi efficace que la méthode du séquençage de l’ADN. En effet, dans la majeure partie des cas, une identification exacte de l’espèce a été obtenue pour les moustiques testés, même pour les espèces morphologiquement et phylogénétiquement proches.

Les résultats ont fait l’objet d’un article publié en octobre 2022 dans la revue Plos One : https://doi.org/10.1371/journal.pone.0276488

Plus d’informations sur : https://pasteur-network.org/news/actualites/maldi-tof-ms-un-outil-de-surveillance-internationale-des-moustiques-vecteurs/