Le 20 juin, le professeur Simon Biggs, président de l’université James Cook en Australie, a visité les laboratoires de l’Institut. Cette rencontre a permis de présenter les travaux menés actuellement à l’IPNC et d’échanger sur de potentielles collaborations en matière de formation mais aussi de projets scientifiques.
L’IPNC a une unité de recherche dédiée à l’étude de la leptospirose, particulièrement les mécanismes de survie des bactéries pathogènes dans l’environnement. En effet, la grande majorité des contaminations ne se font pas au contact des animaux mais au contact de sols souillés ou dans les eaux de baignade.
265 cas de leptospirose ont été recensés en 2022, dont quatre décès. Un record depuis 1997. Caractérisé par des fortes précipitations, le phénomène la Nina participe à la recrudescence de cette maladie ces trois dernières années et, fin avril 2023, il y avait déjà eu 114 cas. « Nous sommes sur la même dynamique », déplore Roman Thibeaux, responsable de l’unité de recherche et d’expertise Leptospirose à l’IPNC. Il précise néanmoins qu’une baisse du nombre d’infections pourrait être observée avec le passage en El Nino dans le courant de l’année. En effet, même si la leptospirose est une zoonose bactérienne, ce qui signifie qu’elle est partagée avec d’autres animaux, notamment des mammifères, ce n’est pas uniquement à leur contact qu’elle s’attrape. La majorité des cas calédoniens, « environ 90% d’entre eux », est liée à une exposition environnementale, favorisée par les fortes pluies. « Lorsque les gens ont des microlésions, qu’ils marchent pieds nus sur un sol contaminé par les urines de mammifères qui ont excrété des bactéries pathogènes ou dans les eaux de baignade. » Lors d’épisodes pluvieux intenses, qui lessivent les sols, les eaux de ruissellement se chargent de leptospires pathogènes, chavirent vers les habitations, causant des inondations. « Les gens se retrouvent alors littéralement les pieds dans l’eau avec un risque d’exposition très important. »
Un virage dans l’axe des recherches « Endémique à la ceinture tropicale, la leptospirose est particulièrement présente en Nouvelle-Calédonie. L’unité tire parti de cette l’implantation en zone de de forte endémie pour étudier cette maladie », précise Roman Thibeaux. Longtemps, il a été cru que la leptospirose s’attrapait principalement au contact des animaux (alors qu’ils sont directement impliqués dans moins de 10% des contaminations). « On savait déjà qu’il devait y avoir un lien entre l’environnement et la leptospirose puisqu’on observait quantitativement une augmentation des cas après des épisodes pluvieux, mais les mécanismes impliqués ne sont pas encore connus tous compris. » La leptospirose est un axe de recherche historique à l’IPNC. L’unité fait en revanche un virage dès 2016 et recentre ses travaux sur le rôle de l’environnement dans la transmission des leptospires pathogènes. Depuis trois ans, ce laboratoire a entrepris un projet d’envergure, nommé Spiral financé par l’agence national de la recherche pour comprendre les mécanismes de dispersion des leptospires et de leur survie dans l’environnement. Depuis 2021, l’unité travaille également avec les cliniciens du Centre hospitalier territorial (CHT) et du Centre hospitalier du Nord (CHN) pour étudier les modalités de traitement de cette infection, dans le cadre du projet LepjarNC. Ils étudient ainsi la réaction des malades de la leptospirose suite à la mise en place d’un traitement antibiotique et cherchent notamment à évaluer l’importance de la survenue de la réaction de Jarisch-Herxheimer, une réaction inflammatoire transitoire qui accompagne l’introduction des antibiotiques chez les patients. En parallèle de ces projets, des actions de coopération régionale avec Fidji et Vanuatu sont menées pour améliorer les capacités de diagnostic moléculaire et sérologique via des formations de responsables et techniciens de laboratoire en partenariat avec l’OMS et la CPS.
En savoir + : le projet Spiral
Démontrer le lien entre pluies et leptospirose Depuis trois ans, durant la saison des pluies, Roman Thibeaux et son équipe travaillent conjointement avec l’IRD, la province Nord et le milieu associatif, à Touho. Lors d’épisodes de fortes précipitations, ils récupèrent des échantillons d’eau, grâce à un préleveur automatique, installé sur un site pilote, déjà instrumenté par l’IRD afin d’étudier l’hydrologie du bassin versant. L’objectif est de comprendre le lien entre les fortes pluies, la dynamique hydrologique du bassin versant et la présence des leptospires. Depuis décembre 2022, l’équipe est également présente sur un second site à la Foa suivi et équipé par la Davar. « C’est un bassin versant beaucoup plus grand, plus intégrateur et avec une dynamique hydrologique différente. Son suivi nous permettra de comparer les deux échelles et de mieux comprendre la remise en suspension des bactéries dans ces contextes différents. » Ce projet Spiral est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et se terminera cette année. Les premières observations indiquent de très fortes remises en suspension des leptospires des sols dans les eaux vives lors de ces événements intenses alors, qu’avant les pluies, la charge pathogène dans le cours d’eau est très faible. Dans les jours qui suivent l’évènement pluvieux, même si la charge bactérienne diminue en même temps que le décrue, les bactéries restent en grand nombre et le risque est toujours présent. « Nous pouvons donc passer le message de prévention suivant : attendez deux à trois jours avant de vous baigner, après un épisode de fortes pluies. L’eau doit être claire. »
Comment les bactéries survivent-elles dans les sols ? Dans le cadre de ce projet, l’équipe de l’IPNC étudient également les mécanismes de survie des leptospires dans les sols. Il existe des mécanismes de persistance mis en place pour se protéger tel que le biofilm, cette sorte de « couverture de protection » qui permet aux leptospires de résister aux antibiotiques, à la salinité, aux UV et à la température. Il y a également le rôle des facteurs physico-chimiques et biologiques associés à la présence ou l’absence de leptospires. « L’étude est en cours et il semblerait que le rôle du microbiote du sol soit particulièrement important », précise Roman Thibeaux.
Le baromètre santé adulte est une enquête de grande échelle menée par l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie (ASS-NC). L’IPNC a participé à l’étude 2021-2022.
L’objectif initial de la participation de l’IPNC au baromètre santé adulte était de déterminer à quelles arboviroses ont été exposées les Calédoniens et en quelles proportions. Sur les 1800 logements visités dans le cadre de cette étude, 750 prises de sang ont été effectuées chez des Calédoniens de 18 à 64 ans sur l’ensemble du territoire, îles comprises. « Cela permet d’avoir une bonne estimation à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie en incluant les trois Provinces », précise Myrielle Dupont-Rouzeyrol, responsable de l’unité de recherche et d’expertise dengue et arboviroses, en charge de cette enquête de séroprévalence.
Arboviroses Ainsi, 55% des adultes calédoniens testés ont déjà rencontré au moins une fois la dengue au cours de leur vie et présentent des anticorps résiduels. « Ce niveau est plutôt faible, en Polynésie française, par exemple, le pourcentage est plus proche de 80% », précise Myrielle Dupont-Rouzeyrol. Pour les autres arboviroses, l’immunité est nettement plus faible ; elle est inférieure à 10%. Il existe ainsi une certaine vulnérabilité à ces infections transmises par les moustiques. Ces résultats vont permettre d’ajuster les mesures de prévention de santé publique pour réduire le risque de transmission vectorielle. C’est la toute première fois que ces pourcentages sont calculés et présentés en Nouvelle-Calédonie.
Covid-19 L’étude, débutée en août 2021, devait se concentrer sur les arbovirus. Or, l’arrivée du Covid-19 sur le territoire a modifié cet objectif initial. Un dépistage des anticorps de la Covid-19 a ainsi été ajouté afin d’obtenir une photographie à un instant t du pourcentage de Calédoniens exposés au virus. Au 31 juillet 2022, 81% des personnes testées présentaient des anticorps issus de la vaccination et/ou d’une infection naturelle. « On peut noter que 40% des individus avaient fait une infection récente ; ce qui permet d’estimer la circulation du virus à cette date, en pleine vague Omicron. » Les anticorps de la Covid-19 diminuant progressivement dans le temps en l’absence de stimulation, l’immunité devrait être plus faible aujourd’hui.
Projet dupliqué au Vanuatu Cette même étude est également menée au Vanuatu depuis octobre 2022. Cette enquête de grande ampleur compte plus de 1000 participants de 5 à 85 ans et évalue l’immunité contre diverses maladies infectieuses dans la population du Vanuatu. Les dernières inclusions ont été effectuées en mai ; Myrielle Dupont-Rouzeyrol espère des résultats d’ici la fin de l’année.
Le professeur Frédéric Veyrier de l’INRS-Centre Armand Frappier Santé Biotechnologie, à Montréal, effectue un congé sabbatique en recherche à l’IPNC. Il est arrivé en janvier dernier pour une durée de six mois. Il apporte ainsi son expertise en génomique bactérienne au sein du Pôle Bactériologie. Eve Bernet, une de ses doctorantes, a également fait le voyage jusqu’à l’IPNC pour un stage de trois mois. Ces visites sont une belle opportunité de renforcer les liens entre les deux instituts de recherche et, plus globalement, entre la Nouvelle-Calédonie et le Canada.
De janvier à juillet, Frédéric Veyrier est en séjour scientifique au sein du Pôle Bactériologie et appuie les travaux déjà entamés à l’IPNC sur la résistance aux antibiotiques. L’un des principaux projets consiste à comprendre les échanges de gènes résistants entre les bactéries présentes dans différents écosystèmes en se concentrant sur différents compartiments (environnement, animaux et humains). Au Canada, Frédéric Veyrier est professeur agrégé au Centre INRS Armand-Frappier Santé-Biotechnologie (INRS-CAFSB), le seul institut membre du Pasteur Network en Amérique du Nord. Il est aussi professeur associé à l’Université McGill et responsable de la plateforme de l’infrastructure de microscopie électronique (appelée Caractérisation des nanovéhicules biologiques et synthétiques) à l’INRS.
De la recherche fondamentale à la santé publique
Son programme de recherche actuel vise ainsi à comprendre l’évolution des bactéries qui infectent l’humain, en recherche fondamentale, pour trouver de nouvelles voies de diagnostic et de traitement, en recherche appliquée. Sa venue à l’IPNC lui permet d’évaluer comment les outils qu’il a développés ces dix dernières années peuvent être utilisés en santé publique. Expert en génomique, un de ses projets consiste par exemple à mettre en place un système de sérotypage basé sur la génomique des leptospires, ces bactéries responsables de la leptospirose. Depuis son arrivée, il est particulièrement impressionné par le travail effectué par les groupes de recherche à l’IPNC malgré « certaines difficultés rencontrées que je n’ai pas au Canada telles que les délais de livraison », cite-t-il.
Consolider les liens
Il était déjà en contact avec l’Unité de recherche et d’expertise Leptospirose et le Groupe de bactériologie médicale et environnementale de l’IPNC, avec qui il avait collaboré à distance. Sa venue à l’IPNC ne tient donc pas du hasard. « Mon séjour permettra de consolider les liens entre nos deux laboratoires. Se déplacer permet de mieux connaître les gens personnellement et donc d’améliorer les collaborations professionnelles par la suite. » Une autre de ses missions est de mettre en place des moyens d’échanges facilités, d’étudiants et d’expertises, entre les deux instituts de recherche. Son séjour est l’occasion d’établir des collaborations fortes, fructueuses et durables non seulement avec l’IPNC mais avec d’autres partenaires régionaux.
Eve Bernet, en stage jusqu’à fin juin
La mise en place de ces projets de recherche collaboratifs a aussi permis à une étudiante brillante, Eve Bernet, de participer à cet échange. « Calédonienne d’adoption », elle est arrivée sur le territoire en 1995, âgée de seulement quelques mois. Partie il y a dix ans pour ses études, elle fait actuellement une thèse au sein de l’équipe du professeur Frederic Veyrier, au Canada. Son projet de thèse porte sur la caractérisation de l’évolution du genre Neisseria ayant mené à l’apparition de deux espèces pathogènes (N. meningitidis responsable de méningite bactérienne et N. gonorrhoeae responsable de la gonorrhée). Pendant son séjour de trois mois à l’IPNC, elle participera à la mise en place d’un projet complémentaire à son sujet de thèse et portant sur la microévolution de Neisseria gonorrhoeae dans un contexte insulaire en Nouvelle-Calédonie. Arrivée fin mars dans l’unité de bactériologie médicale et environnementale de l’IPNC, elle est « très émue de pouvoir enfin revenir [sur le territoire] et participer à l’effort de recherche ici ».
Dans le cadre du projet Fonds Pacifique OH-Lepto l’unité de recherche et d’expertise sur la leptospirose organise actuellement une mission de formation théorique et pratique de quatre techniciens du Vila Central Hospital sur les techniques de mise en œuvre du diagnostic moléculaire de la leptospirose.
Ce projet, également soutenu par la CPS et l’OMS, vise à renforcer les capacités des laboratoires et à promouvoir une approche « One Health » de la leptospirose ; ce qui consiste notamment à organiser des échanges de compétences entre scientifiques des secteurs de la santé humaine et de la santé animale. A l’issue de cette formation, le personnel du laboratoire du Vila Central Hospital aura la capacité d’effectuer des extractions d’ADN génomique à partir d’échantillons de patients et de réaliser des PCR en temps réel afin de renforcer leur système de surveillance de la leptospirose humaine.
Le 30 mars, l’IPNC a signé un partenariat avec le vice-rectorat de Nouvelle-Calédonie. Les premières actions sont dès à présent mises en œuvre dans certains établissements scolaires de province Nord.
L’objectif de ce partenariat entre l’IPNC et le vice-rectorat est de mobiliser la communauté éducative sur les enjeux, les leviers et les actions concrètes en faveur de la sensibilisation et de l’éducation à la santé. Il s’agit également de sensibiliser les élèves aux différents aspects de la recherche et aux métiers sous-jacents, afin de créer chez certain.e.s des vocations dans les domaines scientifiques, technologiques, économiques, environnementaux, sociaux, éthiques et culturels liés à la recherche.
Ce projet éducatif collaboratif consiste à mettre à disposition des supports, outils, formations ou encore données utiles à la communauté éducative. Il s’agit également de soutenir les initiatives locales des établissements scolaires au travers de partenariats/mises en relation, de fourniture d’outils pédagogiques ou méthodologiques, de visites de terrain, de conférences ou débats, d’orientations vers des sources de financements ou encore d’une valorisation à résonance locale, nationale et régionale.
Le partenariat vise trois objectifs principaux dès cette année : – Mettre en place un projet collaboratif visant à sensibiliser les élèves de la province Nord ainsi que des personnels éducatifs volontaires sur les métiers de la recherche ; – Coconstruire progressivement des parcours d’orientation dès le cycle 4 ; – Lancer une expérimentation de « classes scientifiques » ciblant des publics de cycle 3.