La compréhension du rôle de l’environnement, essentielle pour lutter contre la leptospirose

L’IPNC a une unité de recherche dédiée à l’étude de la leptospirose, particulièrement les mécanismes de survie des bactéries pathogènes dans l’environnement. En effet, la grande majorité des contaminations ne se font pas au contact des animaux mais au contact de sols souillés ou dans les eaux de baignade.

265 cas de leptospirose ont été recensés en 2022, dont quatre décès. Un record depuis 1997. Caractérisé par des fortes précipitations, le phénomène la Nina participe à la recrudescence de cette maladie ces trois dernières années et, fin avril 2023, il y avait déjà eu 114 cas. « Nous sommes sur la même dynamique », déplore Roman Thibeaux, responsable de l’unité de recherche et d’expertise Leptospirose à l’IPNC. Il précise néanmoins qu’une baisse du nombre d’infections pourrait être observée avec le passage en El Nino dans le courant de l’année. En effet, même si la leptospirose est une zoonose bactérienne, ce qui signifie qu’elle est partagée avec d’autres animaux, notamment des mammifères, ce n’est pas uniquement à leur contact qu’elle s’attrape. La majorité des cas calédoniens, « environ 90% d’entre eux », est liée à une exposition environnementale, favorisée par les fortes pluies. « Lorsque les gens ont des microlésions, qu’ils marchent pieds nus sur un sol contaminé par les urines de mammifères qui ont excrété des bactéries pathogènes ou dans les eaux de baignade. » Lors d’épisodes pluvieux intenses, qui lessivent les sols, les eaux de ruissellement se chargent de leptospires pathogènes, chavirent vers les habitations, causant des inondations. « Les gens se retrouvent alors littéralement les pieds dans l’eau avec un risque d’exposition très important. »

Un virage dans l’axe des recherches
« Endémique à la ceinture tropicale, la leptospirose est particulièrement présente en Nouvelle-Calédonie. L’unité tire parti de cette l’implantation en zone de de forte endémie pour étudier cette maladie », précise Roman Thibeaux. Longtemps, il a été cru que la leptospirose s’attrapait principalement au contact des animaux (alors qu’ils sont directement impliqués dans moins de 10% des contaminations). « On savait déjà qu’il devait y avoir un lien entre l’environnement et la leptospirose puisqu’on observait quantitativement une augmentation des cas après des épisodes pluvieux, mais les mécanismes impliqués ne sont pas encore connus tous compris. » La leptospirose est un axe de recherche historique à l’IPNC. L’unité fait en revanche un virage dès 2016 et recentre ses travaux sur le rôle de l’environnement dans la transmission des leptospires pathogènes. Depuis trois ans, ce laboratoire a entrepris un projet d’envergure, nommé Spiral financé par l’agence national de la recherche pour comprendre les mécanismes de dispersion des leptospires et de leur survie dans l’environnement. Depuis 2021, l’unité travaille également avec les cliniciens du Centre hospitalier territorial (CHT) et du Centre hospitalier du Nord (CHN) pour étudier les modalités de traitement de cette infection, dans le cadre du projet LepjarNC. Ils étudient ainsi la réaction des malades de la leptospirose suite à la mise en place d’un traitement antibiotique et cherchent notamment à évaluer l’importance de la survenue de la réaction de Jarisch-Herxheimer, une réaction inflammatoire transitoire qui accompagne l’introduction des antibiotiques chez les patients.
En parallèle de ces projets, des actions de coopération régionale avec Fidji et Vanuatu sont menées pour améliorer les capacités de diagnostic moléculaire et sérologique via des formations de responsables et techniciens de laboratoire en partenariat avec l’OMS et la CPS.

Dans le cadre du projet Fonds Pacifique OH-Lepto, l’unité de recherche et d’expertise sur la leptospirose a animé en mai dernier une mission de formation théorique et pratique pour quatre techniciens du Vila Central Hospital sur les techniques de diagnostic moléculaire de la leptospirose.

En savoir + : le projet Spiral  

Démontrer le lien entre pluies et leptospirose
Depuis trois ans, durant la saison des pluies, Roman Thibeaux et son équipe travaillent conjointement avec l’IRD, la province Nord et le milieu associatif, à Touho. Lors d’épisodes de fortes précipitations, ils récupèrent des échantillons d’eau, grâce à un préleveur automatique, installé sur un site pilote, déjà instrumenté par l’IRD afin d’étudier l’hydrologie du bassin versant. L’objectif est de comprendre le lien entre les fortes pluies, la dynamique hydrologique du bassin versant et la présence des leptospires. Depuis décembre 2022, l’équipe est également présente sur un second site à la Foa suivi et équipé par la Davar. « C’est un bassin versant beaucoup plus grand, plus intégrateur et avec une dynamique hydrologique différente. Son suivi nous permettra de comparer les deux échelles et de mieux comprendre la remise en suspension des bactéries dans ces contextes différents. » Ce projet Spiral est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et se terminera cette année. Les premières observations indiquent de très fortes remises en suspension des leptospires des sols dans les eaux vives lors de ces événements intenses alors, qu’avant les pluies, la charge pathogène dans le cours d’eau est très faible. Dans les jours qui suivent l’évènement pluvieux, même si la charge bactérienne diminue en même temps que le décrue, les bactéries restent en grand nombre et le risque est toujours présent. « Nous pouvons donc passer le message de prévention suivant : attendez deux à trois jours avant de vous baigner, après un épisode de fortes pluies. L’eau doit être claire. »

Comment les bactéries survivent-elles dans les sols ?
Dans le cadre de ce projet, l’équipe de l’IPNC étudient également les mécanismes de survie des leptospires dans les sols. Il existe des mécanismes de persistance mis en place pour se protéger tel que le biofilm, cette sorte de « couverture de protection » qui permet aux leptospires de résister aux antibiotiques, à la salinité, aux UV et à la température. Il y a également le rôle des facteurs physico-chimiques et biologiques associés à la présence ou l’absence de leptospires. « L’étude est en cours et il semblerait que le rôle du microbiote du sol soit particulièrement important », précise Roman Thibeaux.